Piste de lecture dans Nuits Intégrales
Dans notre monde, en dépit d’une technologie de plus en plus puissante et une intelligente artificielle envahissante, la vie et surtout le souffle sont encore conférés par la femme. La collaboration de l’homme, précieuse, autorise ce miracle. La plus grande partie des sociétés de la planète, en raison de ce fait, ont attribué à la femme depuis des millénaires, la tâche de transmettre outre la vie mais aussi les savoirs, les savoir-être, les savoir-faire traditionnels, ceux en lien avec le monde environnant, les mystères de la vie et de la mort. A ce propos rappelons que les sociétés dites « primitives » ont instauré puis gardé des rapports étroits avec la nature et son immanence seules garantes selon elles de pérennité mais aussi de soins tant pour le corps que pour l’esprit. Ces sociétés ont ainsi conservé depuis des temps immémoriaux des pratiques en rapport avec le végétal. L’usage des plantes a constitué des connaissances dont la perte relève aujourd’hui du désastre pour l’humanité. La maîtrise des connaissances relatives aux soins du corps et de l’esprit indispensable dans la structuration sociétale, a autorisé l’apparition de groupes de femmes et d’hommes initiés aux arts secrets de soins et de guérison et à la transmission des connaissances. Ainsi depuis les tombeaux Egyptiens et leurs glyphes stylisés présentant les plantes. Jusqu’aux grottes Européennes, les supports rocheux ou muraux renvoient l’observateur moderne attentif à une symbolique illustrative et mémorielle des outils naturels de protection physique et spirituelle des humains d’hier.
Aujourd’hui, Nuits Intégrales, veut s’inscrire dans la tradition de transmission de quelques-unes de ces connaissances traditionnelles Africaines, Panaméricaines et Grande Caraïbe. A ce sujet, ces espaces n’ont rien à envier aux connaissances du Vieux Monde tant en matière de transcendances, que de biodiversité végétale, d’usages, de philosophie et de symboliques. La tradition d’utilisation des plantes se perpétue par l’oralité. Le roman « Nuits intégrales » s’inscrivant dans l’hyper modernité, j’ai souhaité, brisé le dogme de la seule parole pour inscrire les connaissances dans une scripturalité garante à minima de durée.
Le personnage central Yanis qui narre son aventure au fil des pages du livre est professeur de SVT (Science de la vie et de la terre) dans un lycée professionnel Guyanais. En scientifique avéré, il supporte mal la rencontre du troisième type qu’il a subi en toute première partie de narration. En effet il est de ceux qui ont eu une confrontation inattendue avec des humains appartenant à une civilisation avancée résidant dans les profondeurs abyssales océanes au cœur de la planète Terre. Les représentants de ces peuples chargent Yanis d’avertir les hommes, afin qu’ils cessent la pollution des eaux marines sous peine de graves ennuis. Affecté par le conflit entre ses convictions d’homme pragmatique strictement attaché au réalisme scientifique et l’évidence qu’il a côtoyée dans les profondeurs marines, il décide de voyager pour oublier sa mésaventure. Conformément à l’avertissement prodigué par une étrange femme voilée, aucun des voyages qu’il réalise à travers la Caraïbe et la Louisiane, ne verse oubli et apaisement dans sa mémoire. Au contraire au cœur des voyages et à son retour chez lui, des phénomènes qui augmentent son insécurité l’assaillent à chaque pleine lune. Il s’agit de rêves au cours desquels il devient une femme nommée Aloïse. Elle réside avec ses maîtres, sa mère et un groupe d’esclaves dans une habitation en forêt Amazonienne. Les Amérindiens qui sont établis non loin de cette habitation, leur apporte de l’aide lors des épisodes de maronaj.
Aloïse dès son jeune âge est formée pour devenir Femme-feuille c’est-à-dire thérapeute, sage-femme, et initiée pour les soins à prodiguer à la communauté Noire et Blanche de l’habitation. Sa formation et son initiation requièrent qu’elle effectue un voyage de retour en terre Africaine. A cette occasion, Yanis le rêveur découvre avec Aloïse son double féminin, leur généalogie, ainsi que ceux qui les ont vendus aux marchands d’esclaves.
La femme voilée connue de Yanis est présente aux côtés d’Aloïse. Elle est l’initiatrice intemporelle qui confère à Aloïse/Yanis l’éveil aux connaissances innées qui sommeillaient en eux. Ces savoirs qui étaient transmis par leurs ancêtres depuis toujours.
Au réveil des nuits de lune, tout en poursuivant sa vie d’enseignant, Yanis médite sur ces étranges rêves qui font de lui une femme d’un autre temps, nantie de toute la sensibilité propre à ce genre. Mais il admire aussi la force de caractère de ces lignées de femmes qui dans l’inconfort, l’adversité, la privation de liberté, dans le danger même savaient faire face et dire non à l’injustice. Les révélations que constituent ces rêves sur le mode de vie en habitation au cœur des forêts de la Guyane l’obligent à réviser quelques-uns de ses aprioris. Il découvre surtout que ces études ne lui ont jamais ouvert les portes de cet univers en pays Guyane.
L’aventure de Yanis/Aloïse à Rivière dans l’Est Guyanais se poursuivra jusqu’à la révolte finale des esclaves avec la mise à mort du maître et la disparition de l’habitation par le feu.
Aloïse la Femme Feuille, miraculeusement sauvée du désastre par les Amérindiens poursuivra sa vie au cœur de la forêt Amazonienne en femme libre. Elle transmettra à ses descendants et singulièrement à Yanis, dernier de la lignée, ses connaissances.
Vous l’aurez compris l’espace et le temps dans cette fiction sont contractés puis superposés en miroir. Ce continuum espace-temps revisité, délivre une demande d’attention et de fidélité aux savoirs ancestraux. Il permet de souligner la nécessité pour nos sociétés modernes d’asseoir leur sérénité après le déni de leur humanité, sur la connaissance de leur Histoire. Par ailleurs, la contraction espace-temps, permet également un regard acéré et de perspective sur le schéma sociétal d’hier et d’aujourd’hui en terme d’acculturation ou de déculturation, mais aussi de mesure des défis auxquels les générations devront se mesurer. Si les réponses sont dans les outils modernes ils résident également dans les savoirs-être légués depuis des temps immémoriaux par ceux qui connaissaient avant nous la planète et quelques-uns de ces secrets.
Dans nos sociétés de plus en plus virtuelles, en réalité augmentée, individualistes, décentrées, complexes, où celui qui ne maitrise pas la technologie est un has been, la question de l’équilibre psycho-social de nos sociétés se pose? En effet comment répondre aux interrogations relatives à la violence sous toutes ses formes dans nos sociétés. Celles de l’absence de prévoyance pour les soins aux personnes âgées, handicapées, alors que les systèmes de santé partout dans le monde vacillent.
Le fait que le tout chimique ou synthétique montre ses limites voire ses échecs s’impose. Alors, comment connaître, protéger, développer et utiliser à bon escient ce qu’il reste de flore saine pour se nourrir et se soigner sur tous les plans ? Comment construire une société moderne, indépendante, équilibrée, innovante. En un mot comme en cent
Comment faire face à cette rupture profonde des tissus de notre humanité sans se servir des fils laissés par nos ancêtres pour ravauder les béances vertigineuses de la trame d’un monde en dérade.
Ces quelques réflexions orientent une lecture de Nuits Intégrales mais sont loin d’épuiser les problématiques en abyme du roman.
M RIBAL RILOS.

BALLADE EN MOTS
MANIFESTATION AUTOUR DU CREOLE
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